C'est le texte imaginé et écrit par ma petite-fille Estelle

"Au-delà de la carosserie" d'Estelle BOLLARD

                   

                                                                         

" ... l'aime à mourir, je l'aime à mourir "... C'était Francis Cabrel avec "Je l'aime à mourir".

Et maintenant les informations en compagnie de Benoit Souby...  Radio allumée, j'étais arrêté à un péage, je venais de passer deux heures dans ma voiture, j'étais las et affamé. Je sortis de la boîte à gants, un bon pain au chocolat acheté le matin à la boulangerie, en bas de mon immeuble. Tout en mangeant ma viennoiserie, je pouvais observer les autres conducteurs, qui attendaient leur tour pour passer la barrière payante de l'autoroute. Je les examinais à tour de rôle. Il y avait un homme d'une cinquantaine d'années, au téléphone, il paraissait anxieux et stressé ; ensuite je regardais dans mon rétroviseur, un jeune couple dans la voiture de derrière. Une femme âgée conduisait une vieille deux chevaux rouge, toute cabossée.

De plus en plus de voitures arrivaient, elles formaient de longues files indiennes. Puis mon regard s'attarda sur la passagère d'une voiture grise qui se situait à ma gauche. Elle portait sur elle une chose simple mais tellement unique, un beau sourire. Les expressions qui apparaissaient sur son visage me bouleversaient. J'étais attentif à chacun de ses gestes, elle remettait gracieusement sa mèche brune derrière son oreille et lisait un magazine. Devant moi, les voitures avançaient, tout doucement je les suivais, tout en continuant d'observer la jeune femme. Maintenant, elle parlait avec sa conductrice, elle tournait la tête, et je ne pouvais plus contempler son visage. Je guettais le moment où je pourrais encore l'admirer. Je n'étais plus très loin de la borne de péage, plus que trois voitures. Elle détourna enfin son regard dans ma direction, tout en mettant ses lunettes de soleil. Elle s'aperçut que je la dévisageais. J'étais coincé, elle m'avait vu, je devins tout rouge. Je tournais la tête. J'arrivais maintenant devant la borne, j'ouvris ma fenêtre, saluai l'homme qui se tenait à l'intérieur, tout en lui donnant ma carte bleue, il me tendit un ticket. J'attendais que la barrière s'ouvre, pour laisser la place à la voiture de derrière, elle s'ouvrit. J'avançais doucement en direction de l'autoroute, tout en regardant dans mon rétroviseur, où se trouvait la voiture grise. Je ne la voyais plus. Pourtant, j'aurais encore apprécié observer les gestes de cette femme, découvrir le timbre de sa voix, toucher sa peau et peut-être apprendre à la connaître. Je ne l'avais aperçue que quelques minutes, et pourtant elle me fascinait. J'avais envie de sortir de ma voiture et de partir à sa recherche. Mais à quoi cela me servirait ? Je me garai sur la bande d'arrêt d'urgence, qu'allais-je faire ? Je restais planté là ; rouge, bleue, noire, noire, blanche, les voitures défilaient sur ma gauche. Il fallait que je reprenne la route, j'étais attendu ce soir-là.

Grise, sa voiture, elle venait de passer à côté de moi. Tournant la clef de contact, ma voiture démarra, j'appuyai sur l'accélérateur, je voulais la rattraper. Je doublai des voitures, vite, il fallait que je la retrouve. J'approchai de plus en plus d'elle ; au loin je vis que sa voiture se rabattait. Un panneau indiquait « Aire des Orchidées roses dans 100m », la conductrice de la voiture grise allait s'engager sur la voie de décélération, elle avait mis son clignotant droit ; je fis de même. Nous sortîmes de l'autoroute, sa voiture était devant la mienne, je la suivis. Elle alla se garer derrière l'aire de repos. La conductrice sortit de sa voiture, elle contourna l'avant de son véhicule, puis alla ouvrir la portière de la passagère.

Non, ce n'était pas possible ... Ses jambes. Il lui manquait ses membres inférieurs. Comment avais-je pu ? Et que faisais-je ici ? J'étais là, debout, derrière une voiture bleue en train d'espionner une femme que je ne connaissais pas. Je l'avais vue derrière une fenêtre de voiture et je me retrouvais dans une aire de stationnement. J'étais dingue. Je m'étais imaginé avec elle, me promenant au bord de la mer, ou encore faisant du vélo. Mais maintenant cela devenait impossible. Je ne pouvais pas m'imaginer avec une femme handicapée, le simple fait d'y penser me répugnait. Je me retournai, j'ouvris la portière, démarrai et partis. Cette femme pour qui je croyais éprouver des sentiments n'était finalement qu'un tronc. La sortie était indiquée, je la pris. J'entrai sur l'autoroute.

Mention spéciale pour les personnages inattendus et originaux (texte paru dans Camus Actu's : journal du Collège Albert Camus de Torigni-sur-Vire).